Rapport mensuel de l'Observatoire du football CIES

n°31 - Janvier 2018

Transfert de footballeurs:
une analyse de réseaux

Drs Raffaele Poli, Loïc Ravenel et Roger Besson

1. Introduction

Le football offre de nombreuses possibilités pour effectuer des analyses de réseau. Le premier Rapport Mensuel de l’Observatoire du football CIES pour l’année 2018 étudie les réseaux de transfert sous trois différents angles.

L’analyse se concentre d’abord sur la distribution spatiale des expatriés en fonction de leur origine. L’étude se focalise sur les trois nationalités les plus représentées à l’étranger : les Brésiliens, les Argentins et les Français.

Puis, nous prenons les ligues comme unité d’analyse afin de comprendre leurs sources d’approvisionnement tant à l’échelle nationale qu’internationale. Cette étude est menée sur les recrutements effectués par les clubs des cinq grands championnats européenns de juillet 2005 à août 2017.

Enfin, les réseaux de transfert sont analysés du point de vue des clubs. Pour illustrer cette approche, nous avons sélectionné une équipe de haut niveau dans chaque ligue du big-5 : Real Madrid, Manchester United, AS Rome, Bayern Munich et Paris St-Germain.

2. Réseaux par origine

L’analyse des réseaux par origine se focalise sur les représentants des trois pays exportant le plus de joueurs vers 139 ligues professionnelles situées dans 81 associations nationales dans le monde entier : le Brésil, l’Argentine et la France*. Les données font référence aux joueurs présents au 1er octobre 2017 dans le contingent des clubs des ligues analysées ayant été alignés dans des matchs de championnat lors de la saison qui était alors en cours. Dans les 116 compétitions où il a été possible de retrouver la liste des remplaçants, la présence sur le banc a aussi constitué un critère d’inclusion.

[*Pour plus d'informations sur les footballeurs expatriés dans le monde, lire  le Rapport Mensuel 25]

Brésiliens

Le Portugal constitue de loin la principale destination des Brésiliens. Au 1er octobre 2017, 219 joueurs originaires du Brésil évoluaient dans les trois plus hauts niveaux de compétition portugais (18,1% de tous les Brésiliens expatriés). Ces footballeurs étaient en moyenne plus jeunes que les expatriés brésiliens pris dans leur ensemble : 25,2 ans contre 27,3. Pour les Brésiliens, le Portugal constitue souvent le premier pays de migration à l’étranger.

Figure 1 : principales destinations des expatriés brésiliens

Le nombre d’expatriés brésiliens est supérieur à 30 dans dix pays. Parmi ces derniers, il y a six associations membres de l’UEFA, trois nations asiatiques (Japon, Thaïlande et Corée du Sud), ainsi que les États-Unis. Les Brésiliens sont présents dans 80 des 91 associations couvertes dans l’étude. À l’heure actuelle, le joueur brésilien constitue la seule main d’œuvre véritablement globale dans le marché du travail des footballeurs.

Argentins

Le Chili et le Mexique sont les principales destinations des expatriés argentins. Au 1er octobre 2017, 98 Argentins évoluaient en tant que professionnels dans chacun de ces deux pays. Ceci représente plus d’un quart de l’ensemble des Argentins à l’étranger (25,7%). Tant au Chile qu’au Mexique, les Argentins sont de loin l’origine la plus représentée parmi les expatriés. Les footballeurs argentins de l’étranger sont plutôt âgés : 28,1 ans en moyenne contre 26,1 ans pour l’ensemble des expatriés.

Figure 2 : principales destinations des expatriés argentins

L’Espagne et l’Italie sont les deux seules associations européennes parmi les dix principales destinations des joueurs argentins. À l’exception des États-Unis, tous les autres pays se situent en Amérique du Sud. Si les Brésiliens sont la main d’œuvre globale par excellence, les Argentins jouent un rôle similaire en Amérique du Sud. Au total, ils sont présents dans 65 des 91 associations analysées.

Français

Presqu’un quart des footballeurs expatriés originaires de France évoluent dans des clubs anglais (92) ou belges (76). Quatre autres pays limitrophes à l’Hexagone font partie des dix principales destinations des joueurs français : Luxembourg, Italie, Espagne et Allemagne. De plus, 56 footballeurs français sont sous contrat avec des équipes turques, où ils constituent désormais l’origine étrangère la plus représentée.

Figure 3 : principales destinations des expatriés français

Les États-Unis constituent la première destination non-européenne (26 joueurs). Au total, les Français sont présents dans 61 des 91 pays inclus dans l’étude. Les expatriés français sont relativement jeunes. Ils n’ont en moyenne que 25,8 ans. Ce résultat suggère que le nombre d’expatriés originaires de France continuera à augmenter dans les années à venir. Il témoigne également de l’excellence du système de formation hexagonal.

Figure 4 : principales destinations des expatriés brésiliens, argentins et français

3. Réseaux par ligue

L’analyse de réseaux est aussi particulièrement instructive pour comprendre les politiques de recrutement des clubs en fonction de leur ligue d’appartenance. L’étude porte sur les joueurs transférés par les clubs des cinq grands championnats européens entre juillet 2005 et août 2017. Les retours de prêt sont inclus dans l’analyse. Celle-ci se focalise sur la situation observée sur l’ensemble de la période prise en compte, ainsi que sur les tendances mesurées entre les six premières (2005/06 à 2010/11) et les six dernières saisons étudiées (2011/12 à 2016/17).

Pour plus de lisibilité, nous avons classé les aires de recrutement en cinq catégories : les clubs appartenant à la même ligue*, aux divisions nationales inférieures, aux ligues étrangères du big-5, à d’autres championnats étrangers d’associations membres de l’UEFA, ainsi qu’aux ligues extérieures à l’UEFA. Sur l’ensemble de la période étudiée, les clubs du big-5 ont transféré 60% de leurs recrues depuis des équipes du même pays : 32,5% depuis le même championnat et 27,5% depuis des clubs de divisions nationales inférieures.

[*En incluant les joueurs recrutés en été depuis des équipes nouvellement promues en première division. Par contre, les joueurs recrutés en été depuis des clubs fraîchement relégués sont inclus dans la catégorie divisions nationales inférieures]

Le pourcentage de transferts nationaux a légèrement baissé entre la première et la dernière période analysée : de 61,5% à 58,3%. Une diminution relative a été aussi constatée pour les recrutements depuis des ligues hors UEFA (-2,9%). Au contraire, la proportion de transferts depuis des ligues étrangères du big-5 (+3,3%) et d’autres ligues étrangères de pays membres de l’UEFA (+2,7%) ont augmenté. Au total, presque la moitié des recrutements ont été effectués depuis d’autres équipes des cinq grands championnats, soit nationalement (32,5%, en baisse), soit à l’étranger (13,8%, en hausse).

Figure 5 : catégories de championnats de recrutement, clubs du big-5 (2005-2017)

Sur l’ensemble de la période couverte, les clubs de Serie A italienne ont recruté la plus forte proportion de joueurs depuis des équipes du même pays (presque 65%). Cependant, la proportion de transferts nationaux a diminué de 10,5% entre les six premières et les six dernières saisons analysées. Cette baisse est principalement liée au déclin des transferts depuis des clubs de divisions nationales inférieures au profit de recrutements depuis des ligues étrangères d’associations membres de l’UEFA. Ce processus explique également l’importante augmentation du pourcentage d’expatriés*.

[*Pour plus de renseignements sur la présence d’expatriés dans les cinq grands championnats européens, lire le Rapport Mensuel 24]

Les équipes de Premier League sont particulièrement actives dans l’engagement de joueurs depuis des championnats du big-5 étrangers (20% de tous les transferts). Au contraire, elles sont les moins actives dans le recrutement direct de joueurs depuis des ligues extérieures à l’UEFA (seulement 3%). Leur richesse et les conditions plus restrictives pour obtenir un permis de travail expliquent ce résultat.

Les équipes de la Liga espagnole transfèrent une plus forte proportion de joueurs depuis des pays extra-européens que les clubs des autres championnats du big-5 (environ un sur dix). Cependant, le pourcentage de transferts intercontinentaux y a diminué de 4%% entre la première et la seconde moitié de la période étudiée. Une baisse a été observée dans toutes les cinq grands championnats. Ce résultat traduit la tendance pour les joueurs non-européens d’être dans un premier temps transférés vers des clubs extérieurs au big-5, avant d’être éventuellement à même de rejoindre ces ligues.

Figure 6 : catégories de championnats de recrutement, par ligue (2005-2017)

L’analyse des principales associations de recrutement des joueurs transférés depuis l’étranger par des clubs du big-5 entre juillet 2005 et août 2017 met en exergue l’importance des flux entre les cinq pays accueillant ces mêmes championnats. Aux quatre premières places on trouve en effet l’Angleterre, l’Espagne, la France et l’Italie. Seulement l’Allemagne reste un peu plus à l’écart des circuits de transfert internationaux de footballeurs du big-5.

Au total, les clubs des cinq grands championnats européens ont effectué 41% de leurs transferts internationaux depuis d’autres pays accueillant les ligues du big-5. Ce pourcentage est passé de 36,8% à 43,9% entre la première et la seconde moitié de la période étudiée. La figure 7 confirme les plus grandes difficultés rencontrées par les équipes brésiliennes, argentines et uruguayennes à placer des joueurs dans les cinq grands championnats européens. Le même constat est valable pour les équipes écossaises et serbes.

Figure 7 : principales associations de recrutement international, clubs du big-5 (2005-2017)

4. Réseaux par club

L’approche envisagée à l’échelle des ligues est également pertinente pour étudier les réseaux de transfert au niveau des clubs. Cette démarche permet d’analyser les politiques de recrutement sur une base comparative. L’étude couvre une équipe de haut niveau dans chacun des cinq grands championnats européens : Manchester United, Real Madrid, AS Rome, Bayern Munich et Paris St-Germain. Ces clubs ont toujours été présents en première division lors de la période prise en compte.

D’une manière générale, les équipes les plus compétitives recrutent une plus forte proportion de joueurs à l’étranger que les clubs moins ambitieux. Entre juillet 2005 et août 2017, trois des cinq équipes analysées ont transféré une majorité de recrues depuis des ligues étrangères : Real Madrid (73%), Paris St-Germain (58%) et AS Rome (56%). Dans les deux clubs restants, ce pourcentage est aussi proche de 50% : Bayern Munich (46%) et Manchester United (45%).

Figure 8 : catégories de championnats de recrutement, par club (2005-2017)

Au niveau des aires de recrutement à l’étranger, les équipes les plus compétitives recrutent une plus forte proportion de joueurs depuis des clubs dans d’autres championnats du big-5. Si elle implique une augmentation des coûts de transfert, cette stratégie permet de réduire les risques sportifs dans la mesure où une plus grande proportion de recrues dispose déjà d’une expérience au plus haut niveau. Cette situation reflète aussi l’accroissement des écarts économiques entre équipes, tant entre pays qu’entre ligues du même pays. Ce processus permet aux clubs dominants de se servir auprès des rivaux de manière plus simple et rapide qu’il ne leur était déjà possible de le faire dans un passé moins récent.

La carte des principales associations de recrutement international par club illustre la forte focalisation des équipes étudiées sur le marché européen. En effet, le Brésil est le seul pays extérieur à l’Europe où un des cinq clubs pris en compte a recruté au moins cinq joueurs lors des douze années analysées. Près de 60% des joueurs transférés depuis l’étranger ont été engagés dans des pays du big-5. Au total, les équipes étudiées ont transféré des joueurs que depuis 30 pays étrangers.

Figure 9 : principales associations de recrutement international, par club (2005-2017)

5. Conclusion

L’étude des réseaux de transfert est particulièrement utile pour comprendre la géographie économique du football professionnel à l’échelle globale. Alors que la proportion d’expatriés dans les effectifs s’accroît, notre analyse révèle des niveaux de concentration élevés tant au niveau des pays exportateurs que des aires de recrutement. Lorsqu’il s’agit de transférer des joueurs depuis l’étranger, les équipes les plus performantes se focalisent sur un nombre limité de territoires.

Un nombre croissant de joueurs en général, et de footballeurs non-européens plus spécifiquement, migrent en premier lieu dans des pays intermédiaires afin de faire étalage de leur talent avant d’être éventuellement à même de rejoindre un club dans les cinq grandes ligues européennes. Ce processus aboutit à la mise en place de chaînes migratoires transnationales. Comme souligné dans le Rapport Mensuel 29, d’année en année, les joueurs sont confrontés à une plus forte migration internationale à un âge de plus en plus précoce.

Dans le contexte d’un marché de plus en plus spéculatif et fragmenté, beaucoup de joueurs se perdent en cours de route. Aujourd’hui plus que jamais, au-delà du talent, force mentale et capacité d’adaptation sont des facteurs-clé pour réussir une carrière de haut niveau. Souvent obnubilés par des considérations économiques axées sur le court terme, les clubs et les intermédiaires gagneraient à être plus attentifs aux joueurs en tant qu’être humains pour limiter le gâchis de talents et promouvoir au mieux leur carrière dans l’impitoyable univers du football professionnel.

 

 

Rapport mensuel n°31 - Janvier 2018

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