Rapport mensuel de l'Observatoire du football CIES

n°34 - Avril 2018

Stabilité de l’effectif :
une valeur ajoutée pour les équipes

Drs Raffaele Poli, Loïc Ravenel et Roger Besson

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1. Introduction

Dans un sport collectif comme le football, où le tout représente bien plus que la somme des parties, la collaboration et la cohésion entre co-équipiers sont des ingrédients-clé de succès. Pour obtenir durablement de bonnes performances, la gestion stratégique de l’effectif a une importance fondamentale. Ce Rapport Mensuel montre la valeur ajoutée d’une planification à long terme pour les clubs de football à travers le prisme de la stabilité de l’effectif.

L’échantillon se compose des joueurs présents au 1er octobre dans les clubs de première division de 31 associations membres de l’UEFA*. La période analysée s’étend de 2009 à 2017. Pour être inclus, un footballeur devait avoir joué en championnat lors de la saison de référence ou, le cas échant, avoir disputé des rencontres dans des championnats adultes lors de chacune des deux saisons précédentes. Les deuxièmes et troisièmes gardiens ont été pris en compte dans tous les cas.

* [AUT] Autriche, [BEL] Belgique, [BLR] Biélorussie, [BUL] Bulgarie, [CRO] Croatie, [CYP] Chypre, [CZE] Tchéquie, [DEN] Danemark, [ENG] Angleterre, [ESP] Espagne, [FIN] Finlande, [FRA] France, [GER] Allemagne, [GRE] Grèce, [HUN] Hongrie, [ISR] Israël, [ITA] Italie, [NED] Pays-Bas, [NOR] Norvège, [POL] Pologne, [POR] Portugal, [ROM] Roumanie, [RUS] Russie, [SCO] Écosse, [SRB] Serbie, [SUI] Suisse, [SVK] Slovaquie, [SVN] Slovénie, [SWE] Suède, [TUR] Turquie et [UKR] Ukraine

L’indicateur sélectionné pour mesurer la stabilité est le pourcentage de joueurs recrutés en cours d’année par le club d’emploi. Les jeunes footballeurs ayant intégré l’effectif de la première équipe directement depuis le centre de formation n’ont pas été considérés comme des nouvelles recrues.

2. Approche comparative

Pendant la période prise en compte, le pourcentage de nouvelles recrues dans les effectifs a augmenté de manière importante en passant de 36,7% à 44,9%. En 2017, un nouveau record a été enregistré dans 11 des 31 compétitions étudiées : Belgique, France, Hongrie, Israël, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Russie, Suède et Ukraine. Ce résultat reflète l’accélération de la mobilité dans le marché du travail des footballeurs. Celle-ci s’accompagne d’une baisse de la stabilité des effectifs.

Figure 1: % de nouvelles recrues dans les effectifs, 31 ligues européennes (2009-2017)

Sur l’ensemble de la période étudiée, le plus fort pourcentage de joueurs recrutés en cours d’année a été enregistré à Chypre (57,7%). Cette proportion dépasse la moitié des effectifs dans trois autres pays : Portugal (52,0%), Bulgarie (51,3%) et Serbie (51,0%). À l’opposé, les plus faibles pourcentages ont été mesurés dans les trois pays scandinaves (Danemark, Suède et Norvége), ainsi que dans la Bundesliga allemande. Ces écarts traduisent l’existence d’importantes différences dans l’approche culturelle du football selon l’aire continentale.

Figure 2: % de nouvelles recrues, par ligue (2009-2017)

Le pourcentage record de nouvelle recrues a été enregistré en 2009 au sein de l’équipe turque de Diyarbakirspor: 96,4% des joueurs présents au 1er octobre avaient été recrutés en cours d’année. Le club a fini par être relégué. L’équipe avec la deuxième valeur la plus élevée, Neftochimic Burgas, a aussi connu la relégation au terme de la saison en question. En général, comme développé plus loin, un fort pourcentage de nouvelles recrues reflète une mauvaise planification de l’effectif et laisse présager des difficultés sportives.

Figure 3: % les plus élevés de nouvelles recrues, 31 ligues européennes (2009-2017)

L’équipe finlandaise du FC Honka détient le recors du plus faible pourcentage de nouvelles recrues dans l’effectif. En 2010, elle a terminé quatrième en Veikkausliiga sans aucun joueur transféré depuis d’autres clubs en cours d’année. Il s’agit d’une situation unique pour toute la période et les ligues prises en compte. Les pays représentés aux dix premiers rangs sont très différents de ceux représentés parmi les clubs les moins stables. La présence de Fenerbahçe SK est plutôt exceptionnelle compte-tenu du haut niveau d’instabilité qui caractérise le football turc de manière générale.

Figure 4: % les plus faibles de nouvelles recrues, 31 ligues européennes (2009-2017)

3. Stabilité et succès

L’analyse de la stabilité selon le niveau sportif des clubs révèle l’existence d’une règle générale : les équipes les plus compétitives ont des effectifs bien plus stables que les clubs moins performants. Comme détaillé dans la Figure 5, le pourcentage de nouvelles recrues diminue avec le niveau sportif. Il passe de 42,4% pour les moins bonnes équipes (celles avec un coefficient CIES inférieur à 0,25) à 31,3% pour les meilleures (avec un coefficient CIES supérieur à 1,25).

Figure 5: % de nouvelles recrues et niveau sportif des équipes* (2009-2017)* défini selon le coefficient de l’Observatoire du football CIES

Ce résultat met en exergue la relation entre stabilité et performance. Il reflète les difficultés pour les équipes moins riches de planifier leur effectif sur le long terme. Il montre aussi leur approche spéculative du marché des transferts. Ces processus aboutissent souvent à un cercle vicieux dans lequel les équipes naviguent entre instabilité et mauvais résultats.

Au-delà du manque de ressources et de vision, la corruption entre aussi en ligne de compte. Dans la mesure où des sommes considérables circulent à travers les transferts, notamment sous la forme de commissions pour des intermédiaires proches des dirigeants des clubs, le commerce autour des joueurs peut servir les intérêts personnels des acteurs du marché plutôt que les intérêts sportifs des équipes.

Comme l’illustre la Figure 6, les clubs ayant gagné le titre avec le plus fort pourcentage de nouvelles recrues sont tous situés dans des pays où les effectifs sont plutôt instables. La seule exception concerne Slavia Prague dans le contexte tchèque. Cette équipe a gagné le championnat 2016/17 avec plus de la moitié de joueurs recrutés après le 1er janvier 2016. La sur-activité sur le marché des transferts s’expliquait alors par le rachat du club par une société chinoise.

Figure 6: % les plus élevés de nouvelles recrues, champions de 31 ligues européennes (2009-2017)

Ludogorets Razgrad est aussi un cas intéressant dans la mesure où ils ont été couronnés champions de Bulgarie en 2011/12 avec plus de neuf nouvelles recrues sur dix membres de l’effectif. Saison après saison, ils ont continué à glaner les titres nationaux, tout en réussissant de très belles campagnes européennes. Cependant, le pourcentage de joueurs fraîchement transférés n’a pas cessé de diminuer pour atteindre une valeur minimale d’environ 20% en 2016/17.

Plusieurs clubs des cinq grands championnats européens sont aux premières positions du classement des équipes ayant gagné le titre avec le plus faible pourcentage de nouvelles recrues. Parmi les ligues du big-5, seule l’Italie n’a pas de représentants aux dix premiers rangs. Ceci reflète la plus forte mobilité générale des joueurs dans les clubs de Serie A par rapport à ceux dans les équipes des autres meilleurs championnats. Le plus faible pourcentage dans l’absolu a été mesuré pour Bayern Munich en 2016/17 (9,1%).

Figure 7: % les plus faibles de nouvelles recrues, champions de 31 ligues européennes (2009-2017)

La proportion moyenne de nouvelles recrues dans les effectifs des champions tout au long de la période couverte par l’analyse a été d’environ un tiers (34,0%). Il s’agit d’une valeur de 7,2% moins élevée que pour l’ensemble des clubs des ligues étudiées. Ce résultat confirme que la stabilité confère aux équipes un avantage compétitif. La valeur la plus faible en absolu a été mesurée en Espagne (20,8%). Ce n’est pas un hasard si Real Madrid, Barcelone et Atlético Madrid ont aussi été très performants dans les compétitions européennes.

Figure 8: % moyen de nouvelles recrues parmi les champions, par ligue (2009-2017)

5. Conclusion

L’étude révèle le lien entre stabilité de l’effectif et succès. Les équipes plus performantes ont des effectifs plus stables que les clubs moins compétitifs. Entre 2009 et 2017, les champions du big-5 avaient en moyenne seulement un joueur recruté en cours d’année sur quatre membres de l’effectif. Cette proportion peut être considérée comme une référence pour se donner les meilleures chances de succès.

L’analyse met aussi en exergue l’instabilité croissante des équipes à travers l’Europe. Au 1er octobre 2017, 44,9% des joueurs avaient été recrutés en cours d’année. Ce pourcentage était de 36,7% en 2009. Si cette évolution continue, les footballeurs présents dans le club d’emploi depuis au moins une année vont bientôt constituer une minorité des effectifs.

Pour limiter l’instabilité croissante, les instances gouvernantes du football devraient mettre un frein aux inégalités économiques entre équipes tant à l’échelle nationale qu’internationale. Elles devraient aussi lutter contre la corruption sur le marché des transferts et dans la gestion des clubs. Il est aussi nécessaire de limiter la spéculation autour de la mobilité des joueurs, notamment à travers une meilleure protection des clubs formateurs, la mise en application de l’interdiction des pratiques de tierce-propriété, ainsi que le renforcement de la législation sur les intermédiaires.

 

 

Rapport mensuel n°34 - Avril 2018 - Stabilité de l’effectif : une valeur ajoutée pour les équipes